La Mort souriait maintenant doucement, expression sur son visage entre mélange sincère et façade polie qui s’affichait pour éviter de trop montrer son impatience et son agacement. Une main se glissait sur la tête et l’épaule de l’arme devenue fruit de mer contre lui, marque d’affection courante que Gwenoeth avait pour elle, fardeau partagé de sentiments tumultueux qui ne les emmenaient que trop loin tandis que ses yeux ne quittaient pas le groupe de villageois qui jouaient avec ses nerfs. Le Nawûn était d’une patience légendaire mais certains aspects des vivants le piquait plus que d’autres, comme l’intolérance et les esprits étriqués. Avec ces trois là il venait de tirer le gros lot et se priait lui-même et quitte à faire la Sainte Pelle, que le reste du village ne soit pas de même.

Le regard glissait vers As puis sur son ami qui tranquillement questionnait les villageois en jouant le jeu. Se laissant glisser vers les vagues pour saisir le tumulte de la légendaire, comprenant tout autant qu’elle et partageant son inquiétude face à Herentir. Saisissant ce dernier aussi et se liant à eux par l’envie d’avancer vite vers leur objectif pour se débarrasser de ces étriqués. Il était venu dans ce désert pour avoir la paix, loin des hommes, loin des esprits, loin du vivant, loin de tout. Et le voilà à jouer au détective et babysitter assistant au milieu d’autres gens. Il ne manquait plus que le lot de spectres et il aurait la totale. Sourire étiré un peu plus. Etait-ce pour cela qu’Istahall avait pris grand soin de nouer lui-même le bandeau sur la tête de la Faucheuse? En prévision de cette migraine qui pointait déjà le bout de son nez en plus de ce soleil assomant? La Mort ne pouvait s’empêcher de laisser son esprit vagabonder ça et là tant la situation l'étouffait, porte de sortie temporaire avant de se concentrer de nouveau sur le voix de son ami.  Mais il était drôle de noter que quoi qu’il arrive cet esprit en peine allait vers son associé pour prendre l’air, même en plein milieu d’un désert à des miles de lui.

Le regard pers se levait au cieux avant de pincer les lèvre pour étouffer un soupir en entendant les remarques du Ruto. Laisser couler, laisser couler, laisseeeeer couleeeer. La Mort montait tranquillement en pression, digne d’une cocote minute qui fuit, les remarques misogynes l'insupportait et aujourd’hui d’autant plus alors que les oreilles d’Astar pouvaient en pâtir. Il se moquait bien que les piques aillent à Fenrir, la jeune Nawûn se fichait de tout et rien ne l'atteignait, Indifférence indifférente au monde lui-même, ou presque… Puisque celui-ci avait été promu au rang de “garde-manger”. Il devait être ravi de ce nouveau rôle et ce nouveau nom.

Le Monde semblait bien au dessus de tout cela, esprit pragmatique qui avançait efficacement vers les réponses qui leur fallait. Conversation fluide, se mettant dans la poche les villageois avec sa verve habituelle. Esprit logique qui joue un jeu parfait et se plie à montrer ce que les gens attendent de lui pour mieux les ployer à sa merci et en soutirer toujours plus. La Mort n’était pas stupide et pas encore sénile, elle voyait le jeu clairement et suivait l’échange avec un nouvel intérêt, apprenant comment tourner les choses en sa faveur, comment abréger les conversations et se jouer des mots. Intérêt d’autant plus grand sachant parfaitement qu’en un claquement de doigts tout aurait pu être fini selon les désirs de la Réalité. Mort qui se disait qu’elle aussi aurait pu abréger tout cet ennuie d’un lot d’étreintes gelées mais ça n’aurait été que contre productif, après tout ils étaient tous là pour faire remettre le village au boulot et des spectres ne faisaient pas de bons fermiers. Vilain Gwenoeth, méchant Gwenoeth! Il faut cesser de penser à cela, il faut arrêter de couper les vannes de l’empathie et voir la mort des personnes autour de lui comme un fait secondaire sans importance. Il était La Mort, il se devait d’être équilibré et mesuré. Les morts inutiles et prématurées ne devaient se restreindre qu’au minimum, surtout avec les écarts et emportements de certains Nawûns sur les dernières ères, sans parler de la grande guerre...

Main continuellement sur l’épaule de la légendaire, pression légère pour lui signifier de jouer le jeu et promesse silencieuse de son soutien et sa présence. Légendaire qui ne pipait mot, prenant son rôle au pied de la lettre, nouvelle servante docile. Gwenoeth de son côté était une grande perche silencieuse dont les yeux et les oreilles ne manquait rien, analysant tout ce qu’il se déroulait devant lui, prêt à prendre la suite dès qu’Herentir lui en ferait signe. Et enfin, enfin la question cruciale qui les ramenait sur ce qu’ils cherchaient, déliant la langue du Ruto misogyne qui se pressait avec fierté de donner moultes détails. Regard croisé et signe bien assez clair pour la Fossoyeuse, il était temps. La perche rattrapée qu’aussitôt il appuyait les dires de son ami.

“En effet, j’aime à croire que je possède une certaine influence. Rien de tel que votre grand Charif attention, bien sûr, mais dans mon domaine je pourrais dire que je suis écouté et respecté et j’aimerai grandement apprendre de vous tous. Comme l’a dit mon ami ici, ce village est si paisible et son atmosphère si reposante… J’aimerai pouvoir un jour, avec l’accord de votre chef y amener mes fidèles pour qu’ils s’initient à la Sainte Pelle.”

Sourire découvrant ses dents, sincère et excessif rien que d’imaginer la vague de spectres déferlant sur le village à la recherche de pelles éthérées en faisant hurler tous ces pleutres sur leur passage. Ses bras s’ouvraient grand quittant les épaules d’Astar pour embrasser les lieux, s’avançant légèrement pour montrer son envie de parcourir l’endroit sous la tutelle du trio de demeurés. Demande silencieuse prise immédiatement par le second Ruto qui s’avança à pas lourd pour ouvrir la marche.

“Il n’y a malheureusement pas grand chose à voir dans le village… Ces vipères ne nous ont rien laissé, pas même notre dignité à nous faire travailler dans la poussière et le sable. Pfeuh! Mais suivez moi, je pense que je grand Charif doit avoir bien avancé voire fini ses préparatifs et peut être pourrez vous assister s’il le souhaite à sa messe.”

Les paysans encadrèrent le groupe pour les amener sous bonne escorte au portes d’une grande structure faite de bois, de chaux et de paille pouvant facilement accueillir tout le village. Gwenoeth suivit rapidement le pas, attrapant par l’épaule d’une poigne ferme la jeune Nawûn pour la faire suivre, pressant un peu plus ses mains pour lui signifier de se terre et de calquer son comportement sur celui d’Astar, priant tous les outils possibles pour qu’elle ne soit pas l’incarnation de l’idiotie et ne complique pas plus leur tâche maintenant qu’ils arrivaient au cœur du problème.

“Je vous remercie mon ami, c’est un réel honneur que d’être conduit jusqu’à lui et j’apprécie la faveur que vous nous faites. Votre village est certes modeste mais ce sont les habitants comme vous qui en font la fortune.”

Que de mensonges, que de mots mielleux qui étouffait presque La Mort pour la tuer de trop se rabaisser à complimenter de tels idiots. La Grande Dame en avait définitivement sa claque de ce village et ces habitants, patience dans les talons qui se faisait allègrement piétinée plus le temps avançait. Le villageois ouvrait la porte et d’un signe de main invitait le groupe à entrer pour rencontrer le maître des Pelles. La Mort se faufilait en première en se pliant pour ne pas colorer plus que de raison ses cheveux en écarlate, une blessure serait fort incommodante à ce moment et cet endroit. Les poutres étaient basses à l’entrée, surtout pour des Rutos mais une fois l’entrée passée, la hauteur sous toit était impressionnante, permettant la pendaison de bien des herbes et viandes pour une salaison. Voilà à quoi était censé servir ce hangar et non pas à un culte misérable à un objet de bois et de fer qui flottait à présent tout autour du magicien-Charif-en-carton.

“Voici Qabil Salhi notre Grand Charif, Messi des Pelles, Porteur de la Voix et de la Volonté.”

Gwenoeth salua d’un mouvement de tête le villageois puis se tourna vers Qabil pour doucement s’incliner une main sur le plexus avant de s’avancer lentement en sa direction après avoir remercié le Ruto pour le planter là.

“Je te remercie mon ami, puisse la Sainte Pelle te garder.”

Visage fermé, yeux persans et mine renfrognée, Qabil ne semblait pas dupe et loin d’être ravi de voir un groupe d’étrangers arriver dans son village et encore moins sur son lieu de culte. Rien de tout cela n’empêcha Gwen d’aller s'installer à sa hauteur avec un nouveau hochement de tête en guise de respect. Sourire caché quand ses oreilles perçurent les pas rapides d’un des Rutos qui lui courrait après pour le devancer et s’excuser ou s’expliquer à son cher Charif, ou peut être bien les deux. Chuchotements indistincts entre les deux coupés par la grande perche impatiente et à bout de tant d’impolitesse.

“Je vous salue Qabil grand Charif. Votre adepte n’a pas fait les présentations alors puis-je me permettre de les faire afin qu’aucun étranger ne peuple plus votre village? Voici mon ami Herentir qui autant que moi apprécie la quiétude de votre endroit et la noblesse de votre culte, à côté de lui se trouve sa servante et la Vu’han que vous voyez est une pauvre étrangère que nous avons sauvé de votre soleil trompeur. Ne faites pas attention à ses propos parfois choquant ou déplacés, l’astre semble lui avoir trop chauffé l’esprit.”